Depuis quelques années, j’effectue des missions en tant que Legal Operations Officer (LOO) au sein de Directions Juridiques pour les aider à mettre en place des processus efficaces, optimiser leur organisation, améliorer leur visibilité, développer la diffusion de la culture juridique ou implémenter des outils numériques.
Une mauvaise gestion des contrats coûte aux entreprises entre 5 et 40 % de la valeur de leurs transactions (1). Cela est dû à des processus défaillants, à l’absence de suivi des performances et à la multiplication d’outils inappropriés.
On sait qu’une solution de gestion de contrats adaptée aux besoins de l’entreprise permet d’éliminer les processus manuels qui sont souvent longs, fastidieux et sujets à des erreurs humaines. Les délais de traitement et les coûts liés à la gestion des contrats se trouvent réduits et la productivité des juristes nettement améliorée, leur permettant de se consacrer à des tâches à plus forte valeur ajoutée.
Pourtant, malgré la multiplication des solutions Legaltech sur le marché, je constate que de nombreuses Directions Juridiques gèrent encore leurs contrats « manuellement » et manquent cruellement d’outils et de process, ce qui entraîne régulièrement des retards, des erreurs de suivi, voire des litiges.
J’ai récemment effectué une mission dans une entreprise de services pour l’aider à concevoir sur mesure et à mettre en place un logiciel de ticketing (2) et de gestion de contrats (CLM).
Je vous livre les étapes et les difficultés auxquelles j’ai dû faire face lors de cette mission de transformation numérique en matière contractuelle.
Recueil et analyse des besoins et des contraintes
Le premier défi à relever est de gagner la confiance de tous les salariés, en particulier de l’équipe avec laquelle je travaille. Pour cela, il est essentiel de faire preuve d’humilité et d’empathie.
L’empathie va me permettre de comprendre les besoins de l’entreprise et d’identifier, avec les membres de l’équipe juridique, les processus existants et les points de friction.
Les utilisateurs du nouveau CLM sont très nombreux (environ 500 utilisateurs répartis dans 60 pays) et variés : juristes, acheteurs, commerciaux, services informatiques, ressources humaines, financiers, etc. Il me faut travailler en étroite collaboration avec eux pour analyser leurs besoins, attentes et les contraintes qu’ils peuvent rencontrer.
La méthode reste classique mais a fait ses preuves : mener des entretiens individuels avec des membres clés de chaque partie prenante, organiser des ateliers de travail (« workshop ») pour recueillir des commentaires et des suggestions sur le processus actuel et les améliorations attendues.
Rapidement, j’identifie plusieurs points de douleur dans le processus contractuel existant.
- Le service juridique est confronté à un nombre croissant de demandes de revue ou rédaction de contrats.
- La multiplication d’outils (ticketing, email, archivage…) rend le processus de contractualisation trop complexe pour les utilisateurs.
- Les process en place ne sont pas bien suivis et donc inefficaces.
- La répartition du travail des juristes reste manuelle.
- Aucun système n’est centralisé pour les échéances et le stockage des contrats.
- La signature électronique n’est en place de manière systématique.
Autant de défauts qui viennent ralentir et alourdir le cycle de contractualisation.
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Rédaction des spécifications opérationnelles (cahier des charges)
Cette étape, assez chronophage, permet de s’assurer que le nouvel outil CLM répondra aux besoins des parties prenantes, qu’il sera facile à utiliser et à administrer, et sera conforme aux exigences de sécurité et de conformité.
Les utilisateurs ont tous des exigences particulières ; je dois donc vérifier que l’outil CLM puisse intégrer certaines fonctionnalités et qu’il paraisse suffisamment intuitif et simple à l’usage pour être adopté par tous.
Le document décrit la situation actuelle, clarifie les objectifs et l’étendue du projet, définit les priorités, établit un calendrier, identifie les risques et des problèmes potentiels en prenant en compte les intégrations nécessaires avec d’autres systèmes (ERP Enterprise resource planning, CRM ou tout autre API).
Sélection, validation de la solution CLM retenue
Suivre l’actualité des Legalech et se tenir informé des solutions existantes et de leurs fonctionnalités est essentiel pour identifier les fournisseurs de solutions CLM qui correspondent aux besoins de l’entreprise.
Étant donné les contraintes de temps sur cette mission, il me fallait sélectionner et faire valider ce choix rapidement. S’enchaînent alors réunions et démonstrations de l’outil.
Afin de lever les doutes ou ambiguïtés des parties prenantes et qu’elles soient toutes alignées, je les invite à poser leurs questions au fournisseur CLM à l’aide d’un formulaire, complété par une réunion.
Enfin je réunis l’équipe Projet pour valider la solution et le budget en présence du sponsor, en l’occurrence le Directeur Financier, qui joue un rôle essentiel pour définir les critères de réussite, embarquer les équipes et veiller à ce que le projet soit exécuté dans les meilleures conditions.
Mise en place de la solution
L’implémentation de la solution CLM étant un processus long, complexe et délicat, il faut que la collaboration avec le fournisseur de la solution soit fluide et efficace.
Des flux de travail (workflows) et des questionnaires utilisateurs pour les différents types de contrats de l’entreprise sont rapidement créés. En parallèle, j’aide au paramétrage et à la configuration de l’outil avec les opérationnels et les juristes.
Plusieurs mois sont nécessaires pour dérouler le projet jusqu’à son terme et en tant que chef de projet, je pilote le planning, les ressources, la communication interne, les actions à mener par les équipes internes. Il faut maintenir un rythme soutenu tout en gardant des équipes motivées.
Les défis à relever tout au long du projet
Même si la mise en place du nouvel outil CLM a été un succès, j’aimerais revenir sur certaines difficultés dans l’objectif de partager quelques bonnes pratiques :
Convaincre encore et toujours
L’un des défis de tout projet de transformation est la résistance au changement. Bien que les avantages d’un nouvel outil CLM semble évidents, j’ai dû, lors de la réunion de lancement expliquer pourquoi le changement était nécessaire et en quoi cette solution allait améliorer l’efficacité et productivité de la Direction Juridique et des services collaborant avec elle.
Et pour que les membres de l’équipe se sentent impliqués dans le processus de changement et la prise de décision, il faut leur donner des rôles clairs dans la mise en place du nouvel outil. La confiance et le soutien continu du sponsor sont indéniablement des facteurs clés dans le succès du projet.
Bien évaluer les besoins de ressources internes
Une fois la solution validée, les équipes internes ont tendance à se reposer trop largement sur le fournisseur de la solution et le chef de projet / le LOO. Or, les équipes opérationnelles et techniques sont impliquées tout au long du projet. Dès le début, vous devez vous assurer que les équipes internes savent ce qui est attendu d’elles et à quel moment elles devront se rendre disponibles. ll est fréquent de devoir insister auprès du fournisseur de CLM pour obtenir cette évaluation, décisive pour anticiper toute difficulté pendant la migration, la phase de tests et le déploiement.
Préparer la migration
Sans plan de migration minutieusement préparé avec les équipes informatiques, vous risquez des déconvenues. L’objectif est d’assurer une transition en douceur vers le nouvel outil sans affecter le fonctionnement des activités commerciales, tout en minimisant les risques de perte de données.
Voici quelques recommandations pour une migration réussie :
- Identifiez toutes les données à migrer dans le nouvel outil (contrats en cours, archivés, données clients…),
- Migrez par phase (les contrats les plus importants et les plus critiques en premier),
- Vérifiez la qualité des données existantes avant toute migration, nettoyez vos données et veillez à ce qu’elles soient complètes, à jour, sans erreurs et en format identique,
- Déployez les ressources nécessaires en interne pour une migration efficace,
- Anticipez les problèmes techniques et les difficultés d’intégration avec d’autres systèmes,
- Communiquez le plan de migration à toutes les parties prenantes.
Planifier des tests
Les tests, qui ont un rôle primordial, se déroulent en parallèle avec le processus de développement de l’outil. Vous devrez effectuer des tests sur différentes fonctionnalités et scénarios d’utilisation afin de détecter et limiter les risques, vérifier que les exigences des utilisateurs sont remplies et analyser les réactions auprès d’un panel restreint. Les résultats des tests servent à ajuster l’outil avant son déploiement à plus grande échelle.
N’oubliez pas de mettre en place des indicateurs de performance pour évaluer régulièrement l’efficacité du nouvel outil.
Former les équipes
Pour qu’il y ait une adhésion au projet et une bonne utilisation de l’outil rapidement, assurez-vous que tous les collaborateurs sont formés et prêts à utiliser le nouvel outil CLM.
Pour cela, il faudra les impliquer dans les phases de test, les tenir informés par des communications régulières et créer un programme de formation (vidéos, guides utilisateur etc.).
Les résultats
Implémenter une nouvelle solution de gestion de contrats n’est pas une sinécure mais procure une immense satisfaction lorsque les défis sont relevés.
A l’issue de ma mission, les membres de l’équipe juridique ont constaté une amélioration significative de leur efficacité et de leur productivité grâce à l’automatisation de nombreuses tâches manuelles. Les opérationnels ont vu leurs demandes de contrats automatisées et directement envoyées au juriste référent, avec un accès plus facile aux contrats existants.
L’entreprise a également constaté une réduction significative des coûts liés à la gestion de contrats liés aux retards et aux erreurs humaines. Le nouvel outil CLM a permis une meilleure visibilité sur tous les contrats. La signature électronique a apporté un avantage concurrentiel aux équipes opérationnelles et juridiques qui sont plus réactives grâce à l’abandon de nombreuses tâches administratives.
Quoi de plus gratifiant que de voir que vous avez généré un impact positif significatif au sein de l’entreprise !
En tant que Legal Operations Officer j’accompagne la conduite du changement et j’apporte non seulement mon expertise et ma propre vision mais également une méthodologie.
1) Harvard Business Review, “How Artificial Intelligence Is Changing Contracts” by Beverly Rich, Feb 12, 2018
2) Process permettant l’envoi et le suivi numérique de demandes de revues ou de rédaction de contratsCet article a été rédigé par Delphine Bordier, Legal Operations Officer
Créatrice du Podcast « Tout Droit Tout Simple »