Contrats centrés usagers : un nouveau levier business pour redorer le blason du juridique
Si vous avez déjà eu l’impression d’avoir la tête qui tourne en essayant de lire un contrat, ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas seul. Pendant des années, les documents juridiques ont été une hantise pour tous : des pages remplies de jargon et d’archaïsmes rendant difficile la compréhension de ce à quoi vous vous engagez. Mais comment se fait-il qu’en 2023, nous ayons encore besoin d’un dictionnaire pour déchiffrer un contrat ?
Partons des bases. Pour faire simple, un contrat est une convention qui crée des obligations entre deux ou plusieurs personnes. Aujourd’hui, à moins d’avoir au moins une licence en droit, il est difficile de lire et comprendre un contrat, et par conséquent de s’approprier les obligations auxquelles nous nous sommes engagés.
D’après un rapport de McKinsey de 2012 (certes de plus de 10 ans mais d’autant plus vrai aujourd’hui), les employés passent 1,8 heures par jour à rechercher et à collecter des informations (donc en moyenne 9,3 heures par semaine). Pour un salarié à 35 heures, faites le calcul.
Une enquête de SearchYourCloud de 2013 affirme que les employés effectuaient jusqu’à huit recherches pour trouver le bon document ou la bonne information ».
Notre cerveau humain est tout simplement incapable de traiter tout ce contenu de façon efficace et pertinente. En effet, notre cerveau trie de façon inconsciente ce qu’il estime comme non-pertinent. Notre oeil permet de tout voir mais le cerveau ne regarde que ce qu’il a classifié comme étant « important », par anticipation (cf. 300 ans d’expérience client, Marc Van Rymenant). Avec la quantité de données se multipliant chaque année, nous avons besoin de réels leviers pour accompagner la lecture, la structuration, l’analyse de l’information et ainsi la prise en main des documents contractuels. C’est là qu’apparait le legal design.
Cette approche innovante de production de contrats met l’accent sur la lisibilité, la transparence et l’expérience utilisateur visant à faciliter la compréhension, l’appropriation et l’autonomisation des usagers de contrats.
Dans certains domaines comme les services publics ou des industries telles que l’agro-alimentaire, l’aérospatiale ou la défense, le contrat est la colonne vertébrale structurante des organisations. Pourtant, elles n’investissent que très peu dans des stratégies de valorisation de la gestion contractuelle. En effet, il a été étudié que l’absence d’une approche efficace de “contract management” peut impacter la rentabilité de l’organisation de 9 % des revenus annuels (étude McKinsey & Company, 2018).
Vous voulez en savoir plus sur le sujet ?
Alors, que peut apporter concrètement le legal design dans la stratégie de gestion contractuelle ?
L’apport principal réside dans la démarche de centrage utilisateur avec les enjeux de lisibilité, de clarté et de transparence, générant ainsi de nombreux avantages :
- une connaissance précise des règles du jeu et une meilleure conformité : qui s’engage à quoi, pourquoi et comment ? Qui doit faire quoi et à quel moment ? Qu’est-ce que cela implique pour chaque partie ?
- rationaliser les négociations contractuelles : un contrat centré-usager permet de faciliter la compréhension et l’acceptation de ses termes et ainsi rendre plus efficaces les négocations
- instaurer une démarche de transparence : prenons l’exemple des contrats de mutuelle santé, lorsqu’un assuré souscrit ce contrat, il est fréquemment confronté à une désillusion quant au remboursement de ses dépenses santé. Il achète des lunettes de vue et pense être correctement remboursé au vu du taux de remboursement mentionné à son contrat. Imaginez sa réaction lorsqu’il découvre que les 300% de remboursement devaient être appliqués sur les 0,05 centimes de la base de remboursement de la Sécurité sociale et non le prix de ses lunettes. Déception et perte de confiance assurée.
- créer une expérience utilisateur par le juridique : dans une expérience utilisateur globale dès lors qu’on va être confronté au juridique (contrat, conditions générales, information sur les données, notice d’information, etc…), l’expérience juridique de l’usager est empreinte d’angoisse, frustration, peur, incompréhension. Le plus grand challenge du legal design est de transformer un ressenti négatif en une expérience positive et immersive.
- implémenter un nouvel usage : abandonner les pratiques traditionnelles en partant de modèles prédéfinis qui ne s’adaptent ni à la nature des parties, ni à l’environnement et au contexte de l’entreprise et surtout pas aux usagers finaux de ces documents. Qui a dit qu’un contrat devait avoir le même plan et traiter des mêmes notions dans un ordre prédéfini depuis 200 ans ?
La recette pour créer un contrat centré-usager :
Préparez ces différents ingrédients :
- Une phase de recherche approfondie
- Une équipe projet diversifiée et motivée
- Une approche agile et itérative
- Des KPI à mesurer
Suivez ces instructions :
- Pour commencer, préparez votre phase de recherche. Comment créer un contrat centré usager s’il n’est pas construit autour de ses besoins ? Prenez donc le temps de bien comprendre les besoins de votre public cible en l’interrogeant, l’observant et veillant à comprendre ses points de frustration, blocages, difficultés.
- Montez une équipe projet diversifiée et motivée. On ne produit plus entre sachants et pour les sachants. Rassemblez des profils différents pour une approche plus riche et équilibrée (commerciaux, marketing, ingénieurs, juridique, etc…). Selon une étude menée par Frost Sullivan (cf : The Impact of Collaboration on Business Performance), l’indice de collaboration d’une entreprise augmente les ventes de 27 %, améliore les évaluations de satisfaction des clients de 41 %, et augmente l’innovation produit de 30 %.
- Produisez avec votre équipe projet le contenu de votre nouveau contrat avec les techniques du langage clair, du storytelling et de l’écriture centrée usager. N’oubliez pas le pouvoir du design graphique, émotionnel et d’expérience utilisateur pour faire entrer votre contrat dans l’univers de votre marque.
- Travaillez en mode MVP (Minimum Viable Product), c’est-à-dire privilégiez les approches agiles et itératives. Cela vous permettra de tester rapidement vos idées et les ajuster en fonction des retours de votre public cible.
- N’oubliez pas de mesurer les KPI (indicateurs de performance définis lors du cadrage du projet) pour évaluer la facilité d’utilisation du document, le gain de temps pour l’utilisateur, la réduction des sollicitations du service client et enfin, l’expérience utilisateur. Et pensez à faire vivre votre contrat et ne pas le laisser à l’abandon, il est parfois nécessaire de le réadapter avec les retours clients sur le long terme.
Mélangez tous ces éléments avec soin et ajustez la recette en fonction des résultats obtenus. Vous obtiendrez alors un contrat centré-usager, facile à comprendre et à utiliser pour votre public cible. Profitez bien !
Vous avez désormais tous les éléments pour vous lancer dans le futur des contrats.
Que peut-on dire de ce futur des contrats ? Est-il voué à s’instaurer réellement dans le quotidien des entreprises ?
Nous pouvons espérer que les choses vont s’accélérer sur les années à venir. Le langage clair appliqué dans la démarche legal design pour produire des textes clairs et engageants considéré par certains comme un droit civique est sur le point de devenir une norme ISO (norme ISO 2449, elle définira les principes et les lignes directrices pour produire des communications claires). Si dans certains pays, comme au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou encore en Suède ****le langage complexe et le jargon juridique sont interdits dans les communications destinées aux citoyens, en France, les initiatives se multiplient : dans le privé, les entreprises cherchent à se développer sur un marché de plus en plus concurrentiel et les services publics sont conscients que la transparence et la dimension aide du service public est au coeur de leur existence.
A l’ère de l’automatisation, de la blockchain et de la signature électronique, et si le secret pour créer ce nouveau standard de la gestion contractuelle génératrice de valeur était la démarche legal design ?
Cet article a été rédigé par Kristina Lazatian, présidente fondatrice de Imagine.Legal